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Classiquenews - L’animal est un homme comme les autres
Classiquenews – 20 avril 2016
Compte rendu critique, opéra. Massy, Opéra, le 20 avril 2016.
Par Pedro Octavo DIAZ
Au cœur des champs et des forêts, lorsque l’habitation humaine cède aux pâturages, aux arbres et aux coteaux boisés, nul doute pour le promeneur alerte qu’il est observé. Le parti pris de passer son chemin et ne pas s’arrêter ne permettra jamais de se soucier si sous la voûte des arbres se trouve le verdoyant pivert et son œuvre de menuiserie ; le perspicace geai bavard et coloré ; le perçant autour aux ailes d’airain ou derrière l’ombre d’un chêne, la silhouette fuyante d’un chevreuil alerte. Et dans les champs, l’éclair roux d’un goupil que les fabliaux du Moyen-Âge ont décliné en vers et chants de geste. C’est au XXème siècle qu’un visiteur inattendu a repris le flambeau de la voix animale, Leos Janacek, parcourant les forêts de Bohème et de Moravie, s’élance dans une vibrante contemplation, une ode aux valeurs profondes de la nature, la liberté et la régénération.
L’animal est un homme comme les autres
Tout comme Rostand dans son Chantecler (1910), Janacek offre à l’animal une voix et une sensibilité bien plus profonde que certains humains lourds de cuistrerie dans son opéra. Contrairement à Chantecler, tirade de basse-cour aux accents révanchards, La Petite Renarde Rusée est une porte ouverte à la compréhension profonde de la nature. En effet on arrive beaucoup plus vite à comprendre par cette narration le cycle de la vie que finalement, l’homme par sa maladresse et sa ladrerie brise.
Pour cette production L’ARCAL, compagnie lyrique aux projets passionants dirigée par Catherine Kollen, propose une lecture extrêmement fine et puissante d’une oeuvre que l’on a si souvent bâclée. En effet dans des productions passées, l’animal est grimé par des accessoires à foison et force maquillage qui lui ôtent toute humanité et donc la pertinence du manifeste de Janacek, auteur du livret. Catherine Kollen réunit autour d’elle une équipe artistique d’un niveau d’excellence et offre aux artistes le terreau parfait pour épanouir leur indéniable talent.
La retranscription de cette contemplation est dévolue à Louise Moaty. En reprenant des techniques issues de son spectacle magique de la Lanterne, qui poursuit sa route de succès, et mêlées à l’inspiration cinématographique de la Belle Epoque, Louise Moaty réveille les points les plus sensibles de cette rêverie. On réussit à s’identifier à l’animal, à excuser au chasseur balourd et être transporté dans les champs avec les insectes, les oiseaux et les créatures du bois. Grâce à Louise Moaty, l’œil du renard nous transmet des sentiments qui nous touchent, la langue tchèque devient intelligible et révèle les profondes beautés de la musique. La Petite Renarde, dans le regard de Louise Moaty révèle sa véritable renaissance comme un chef d’œuvre d’humanité et un captivant témoignage de l’importance de l’environnement pour notre propre évolution. De plus, lors de la scène phare de l’opéra, le mariage de la Petite Renarde, le public porte une paire d’yeux incarnant les regards des animaux de la forêt dans la nuit, le public devient aussi animal et scelle son lien avec la nature. Louise Moaty nous offre encore une fois un moment, un rêve, un instant captivant qui interroge notre propre humanité, à travers l’œil de l’animal qui nous observe tapi dans sa liberté.
Côté solistes, nous sommes gâtés avec des voix indéniablement marquantes et touchantes. Philippe-Nicolas Martin, campe un Garde-Chasse maladroit mais attaché avec ferveur à la nature qui l’appelle vers un désir de liberté au coeur des bois. Il développe tout du long les nuances dans sa voix d’un grave velouté.
Avec autant d’assurance, la protagoniste aux agilités tels des bonds de renard, la soprano japonaise Noriko Urata éveille ainsi toute la sensibilité et la soif de liberté de la Renarde. Espiègle et rêveuse Noriko Urata réussit à nous attacher à son personnage avec une pertinente sensibilité.
Aussi profonde est la poésie de Caroline Meng, incarnant le Renard. A la fois tombeur à la fourrure mordorée et amoureux transi de sa belle rouquine, la mezzo-soprano ne démérite pas dans les accents et le lyrisme de son chant.
Incarnant le malheureux Instituteur, Paul Gaugler anime son timbre ciselé de ténor avec une verbe et une véritable excellence. On retrouve avec plaisir une expressivité solaire et herculéenne qui sculptent la partition de Janacek sans perdre les nuances du texte.
Wassyl Slipak offre à ses multiples incarnations à la fois les accents du bourru chez le Blaireau et la barbarie de Harasta. A la fois excellent acteur et puissante basse, il réveille dans le combat avec la Renarde un semblant d’inquiétude.
Françoise Masset nous offre une belle prestation dans plusieurs rôles, Sylvia Vadimova émeut et nous déploie une voix pleine de contrastes et de couleurs. Dans les rôles des animaux de la forêt, coryphées de la fable de la Renarde, on retrouve des voix aux accents touchants, Sophie-Nouchka Wernel et Joanna Malewski.
En fosse, reprenant une version réorchestrée pour 16 musiciens, Laurent Cuniot mène avec adresse et une précision rythmique sans pareil son talentueux ensemble TM+. En effet l’ensemble de Nanterre, propose une lecture touchante, alerte et richement multicolore de la partition de Janacek. De ce fait, malgré la réduction, l’orchestre est beaucoup plus maléable aux murmures de la nature que Janacek a semblé retranscrire dans sa partition. TM+ nous renouvelle un vœu de restitution fraîche et la Petite Renarde ici semble retrouver une jeunesse créative sans pareil.
Après cette représentation, alors que la nuit perlée de pluie embrasse la ville de Massy, on commence par se demander si, derrière les haies qui bordent les autoroutes, quelques bêtes aux yeux alertes ne nous observent avec une certaine curiosité, mais toujours avec la bienveillance des êtres en éternelle découverte, ivres de la liberté au cœur des coffres verts des campagnes et des bois. La musique de Janacek fit son œuvre, germant dans les cœurs la conscience que l’animal n’est que bête par rapport à notre propre maladresse. La rêverie bucolique accompagna Janacek jusqu’à Brno, où, près d’un monument à sa gloire, nulle statue, nul buste, mais un rocher sur lequel la belle Renarde de bronze veille farouchement sur celui qui lui offrit non point la parole humaine, mais l’immortalité de la musique et du chant.
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