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ODB - Opéra - Janacek aurait adoré cet univers merveilleux [...]

ODB - Opéra / Compte-rendu
Par Elisabeth Bouillon.
Reims, Opéra, le 26 février 2016

Spectacle inso­lite s’il en fut, cette Petite Renarde rusée sur­prend à tous égards. Dès l’accueil du public dans la salle, l’étalage, sur scène, d’un appa­reillage tech­ni­que com­pli­qué intri­gue et indis­pose à la fois : va-t-on nous impo­ser ce "décor" durant tout le spec­ta­cle ? En regar­dant plus atten­ti­ve­ment, on aper­çoit un grand écran sus­pendu dans le noir aux deux-tiers de la scène et l’on attend avec impa­tience l’ouver­ture du rideau.

Lorsque Laurent Cuniot atta­que le pre­mier acte d’une baguette énergique et pré­cise, son excel­lent Ensemble orches­tral de musi­que d’aujourd’hui (TM+) nous plonge immé­dia­te­ment dans l’uni­vers magi­que de cet ouvrage si sédui­sant. Cette ver­sion mini­ma­liste réor­ches­trée pour seu­le­ment 16 musi­ciens par Jonathan Dove (Édition Universal) pré­serve la plu­part des cou­leurs ins­tru­men­ta­les de la par­ti­tion ori­gi­nale mais on regrette l’absence du cor anglais. Les vents et les cui­vres se trou­vent pres­que à décou­vert du fait de la réduc­tion impor­tante du nombre des cordes qui enlève beau­coup de pro­fon­deur à l’ensem­ble. Néanmoins, lors­que l’écran s’illu­mine, on s’aper­çoit qu’il existe un accord par­fait entre la scène et l’orches­tre : l’aplat rela­tif des sono­ri­tés orches­tra­les cor­res­pond à l’aplat des images pro­je­tées.

La pre­mière image qui appa­raît sur l’écran reprend pour l’essen­tiel le tableau d’Egon Schiele inti­tulé Les quatre arbres (cf. tableaux de Schiele). Un doigt appa­raît bien­tôt, mas­quant les trois quarts de l’image, pous­sant vers chacun des quatre arbres un feuillage prin­ta­nier qui rem­place les feuilles d’automne. Le doigt dis­paru, le pay­sage s’éclaircit, sur­volé par de légers papillons blancs incrus­tés sur l’image (danse de la Libellule). L’arri­vée sur scène du garde-fores­tier s’accom­pa­gne de son inté­gra­tion dans le pay­sage pro­jeté sur l’écran. C’est magi­que ! L’échelle est res­pec­tée, ses mou­ve­ments sont par­fai­te­ment syn­chro­ni­sés mais appa­rais­sent sous un angle dif­fé­rent.

Le spec­ta­cle que nous pro­pose Louise Moaty appar­tient donc à un genre nou­veau dont elle est l’inven­trice, un art expé­ri­men­tal qui, en alliant sur scène des dis­ci­pli­nes artis­ti­ques com­plé­men­tai­res, crée une nou­velle forme de mer­veilleux par­fai­te­ment adap­tée à La Petite Renarde rusée. Ce n’est pas à une repré­sen­ta­tion tra­di­tion­nelle de l’opéra que nous assis­tons, mais à la réa­li­sa­tion en cours d’un film d’ani­ma­tion. L’action n’est par­fois visi­ble que sur le seul écran, mais la plu­part du temps, on la voit aussi se dérou­ler sur scène où les chan­teurs, filmés pour être incrus­tés en direct dans l’image, for­ment un groupe sur fond noir, isolé par les excel­lents éclairages de Nathalie Perrier. Aux per­son­na­ges prin­ci­paux qui évoluent sur scène s’ajou­tent des marion­net­tes d’échelles diver­ses repré­sen­tant les ani­maux qui, mani­pu­lés par leurs inter­prè­tes, s’affi­chent sur l’écran, comme le bébé Bystrouska, lors de sa cap­ture par le garde-fores­tier, les poules, le coq, les renar­deaux etc. La renarde adulte et le chien Laval ont aussi leurs marion­net­tes, abso­lu­ment irré­sis­ti­bles, tout cela mani­pulé ou conduit avec la plus grande pré­ci­sion par les inter­prè­tes. Et tout à l’ave­nant...Janacek aurait adoré cet uni­vers mer­veilleux de l’enfance, poé­ti­que, lumi­neux, ses cos­tu­mes folk­lo­ri­ques hauts en cou­leurs qui nous trans­por­tent dans la Moravie natale de Janacek et que l’on doit, en même temps que la scé­no­gra­phie, à Adeline Caron et Marie Hervé. (cf. La Petite Renarde rusée sur le site de l’Opéra de Reims)

Une ombre au tableau, cepen­dant. La fas­ci­na­tion exer­cée par ce film d’ani­ma­tion en train de se faire et la beauté de son uni­vers visuel ne font pas oublier l’iné­vi­ta­ble pré­sence sur scène de l’appa­reillage tech­ni­que. En effet, tout comme devant les tours d’un pres­ti­di­gi­ta­teur, on a envie de com­pren­dre com­ment tout cela fonc­tionne. Or, à dis­per­ser ainsi son atten­tion, on manque cer­tains moments impor­tants de l’opéra. Par ailleurs, les noces du renard et de la renarde, pri­vées de l’attrait des images sur l’écran, sont un peu sacri­fiées. La lumière bleu sombre qui baigne le centre du pla­teau ne suffit pas à isoler le couple de l’appa­reillage tech­ni­que resté trop pré­sent sur les côtés, l’aire de jeu s’en trouve res­treinte et le jeu d’acteur ne suffit pas à remé­dier à l’absence de la forêt, malgré la ten­ta­tive de situer les ani­maux dans la salle, au milieu du public. Nul doute cepen­dant : les qua­li­tés de cette pro­duc­tion l’empor­tent lar­ge­ment sur ses défauts.

La par­ti­ci­pa­tion cons­tante des chan­teurs à la réa­li­sa­tion du spec­ta­cle en cours repré­sente un véri­ta­ble tour de force puisqu’ils réus­sis­sent tous à se concen­trer simul­ta­né­ment sur leur chant, la pré­ci­sion de l’arti­cu­la­tion du texte tchè­que, l’incar­na­tion de leurs per­son­na­ges, les entrées indi­quées par le chef d’orches­tre, la large palette de nuan­ces qui leur est deman­dée, le jeu d’acteur, le res­pect scru­pu­leux des places mar­quées au sol sans lequel leur image ne s’incrus­te­rait pas sur l’écran et, ce qui est tota­le­ment nou­veau pour eux, la déli­cate mani­pu­la­tion des marion­net­tes. On ne sau­rait trop féli­ci­ter l’ensem­ble de la dis­tri­bu­tion de l’extra­or­di­naire per­for­mance accom­plie, d’autant que tous les chan­teurs (renarde et garde-fores­tier excep­tés) doi­vent incar­ner plu­sieurs per­son­na­ges, humains ou ani­maux, dont la plu­part ne sont visi­bles que sur l’écran.

Parmi les inter­prè­tes, l’on dis­tin­gue tout par­ti­cu­liè­re­ment Philippe-Nicolas Martin, au beau bary­ton cuivré, qui incarne un garde-fores­tier étonnamment joyeux, opti­miste, bon enfant, affec­tueux avec sa petite renarde. Son mono­lo­gue final, d’un lyrisme vibrant et épuré, nous trans­porte dans un monde trans­cen­dant, où la nature est reine et l’amour uni­ver­sel. A ses côtés, l’ins­ti­tu­teur du ténor Paul Glaugler reste pri­son­nier de ses obses­sions amou­reu­ses. En contre­point, le remar­qua­ble curé égrillard de Wassyl Slipak, avec sa belle basse pro­fonde, digne de Grémine, qu’il a déjà à son réper­toire. Son vaga­bond Harasta, tota­le­ment indif­fé­rent à la nature que l’entoure, se gar­ga­rise des beaux sons qu’il émet et semble clamer sa supé­rio­rité au monde entier et son blai­reau ne manque pas de chien.

La reine de la soirée reste incontes­ta­ble­ment Noriko Urata, beau soprano rayon­nant et cha­leu­reux, tou­jours à l’aise malgré les contrain­tes tech­ni­ques de la scène. Nous assis­tons avec bon­heur à la vie accé­lé­rée de sa petite renarde ainsi que sa trans­for­ma­tion pro­gres­sive en femme libé­rée, qui pré­fère ris­quer la mort en affron­tant l’injus­tice. Son timbre se marie fort bien avec celui, com­plé­men­taire, du renard de Caroline Meng. Les deux voix finis­sent par s’enrou­ler en guir­lan­des, expres­sion d’un amour enfan­tin se méta­mor­pho­sant en irré­pres­si­ble désir.

Ne man­quez pas ce spec­ta­cle. Tout au ser­vice de La Petite Renarde rusée, il ne res­sem­ble à aucun autre et vous ne regret­te­rez pas de vous être dépla­cés ! Vous pour­rez la voir à Massy et ailleurs.

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